Par Dominique BOURG
Philosophe et professeur ordinaire à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne
L’expression « économie circulaire » souffre de la même plasticité sémantique, dont pâtissait autrefois le « développement durable ». Que l’on me permette d’évoquer de vieux souvenirs. Il m’est arrivé de rencontrer, dans diverses organisations, des « responsables » conduisant leurs politiques ou leurs stratégies prétendues « durables » tout en ne prêtant guère d’attention aux questions environnementales. Et qui, parmi ces responsables, avait quelque idée de la distinction pourtant aussi décisive qu’éclairante entre durabilité faible (grosso modo : « business as usual ») et durabilité forte ? Je renvoie ici le lecteur à Bryan Norton, pour une élaboration moins sommaire de la distinction en question (1). Or, je crains qu’il en aille déjà ainsi de l’économie circulaire. C’est pourquoi j’en proposerai ici les divers sens possibles, avec des objectifs à l’avenant, de telle sorte que le choix des uns et des autres puisse se faire de façon claire et authentiquement responsable.
Dans un monde économiquement globalisé, où les grands indicateurs des dégradations environnementales se construisent à l’échelle du système-Terre, l’objectif ultime de l’économie circulaire doit se situer sur ce même plan. Toutefois, les efforts à une échelle micro, même s’ils sont sans grands effets à l’échelle macro, voire s’ils ont des effets contraires, peuvent être intégrés par d’éventuelles actions menées à l’échelle globale. Et quel que soit le caractère exigeant et impérieux de cet objectif global – le retour à une empreinte écologique correspondant à une planète –, il n’en existe pas moins une pluralité de moyens et de trajectoires économiques permettant de l’atteindre.
L’objectif de l’économie permacirculaire
L’économie circulaire se définit en premier lieu par son objectif : répondre aux enjeux environnementaux globaux. Or, nous avons atteint un degré inquiétant de dégradation du système-Terre, dont les dommages commencent désormais à se faire sentir. Le temps où l’on pouvait évoquer le dépassement de la biocapacité de la biosphère, lequel a commencé dès le début des années 1970, ou alerter sur le franchissement des limites du système-Terre, lesquelles sont autant de marqueurs de l’entrée dans l’ère de l’Anthropocène, sans que l’on puisse en constater la moindre conséquence, ce temps est révolu. Il n’est désormais pas un seul lieu sur Terre, où l’on ne puisse constater de visu les effets du changement climatique : la fonte des glaciers ; la montée du niveau des mers ; la violence des cyclones et autres typhons, avec une série de rafales de vent de plus de 360 km/h, allant de Haiyan, aux Philippines, en 2013, à Irma, en 2017, dans les Caraïbes, en passant par Pam, au Vanuatu, en 2015 ; les effondrements dans les Alpes ; les cratères qui apparaissent en Sibérie avec la fonte du pergélisol ; les vagues de chaleur de l’Arctique à l’Antarctique ; des précipitations plus violentes qu’à l’accoutumée provoquant des inondations spectaculaires et ravageuses …
L’objectif de l’économie « permacirculaire » se situe à l’échelle globale : il s’agit d’inverser les tendances nous conduisant au franchissement des limites planétaires et de revenir à une empreinte écologique à la dimension d’une planète, plus précisément de la Terre. Cet objectif, certes exigeant, peut en revanche donner lieu à des trajectoires économiques diverses, donnant libre cours à l’inventivité humaine, allant du high-tech le plus concurrentiel jusqu’à des expérimentations mixant permaculture et changement des modes de vie, en passant par l’économie sociale et solidaire. Cette approche n’est pas exclusive d’autres approches moins exigeantes, elle peut même les intégrer. Ainsi définie, l’économie permacirculaire constitue un point d’appui pour une société résolument pluraliste et démocratique.