Chaque année, entre 16 000 et 61 000 hectares sont soustraits à la nature en métropole, principalement du fait des maisons individuelles et des routes.
Par Pierre Le Hir Publié le 02 août 2019 à 12h14
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C’était l’une des mesures phares du « plan biodiversité » présenté en juillet 2018 par le gouvernement : « Atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette. » Un engagement exigeant qu’à terme, les surfaces prélevées sur les espaces naturels, agricoles ou forestiers par les constructions et infrastructures de toutes sortes (bâtiments, routes, parkings, voies ferrées, entrepôts, centres commerciaux…) soient compensées par des surfaces équivalentes rendues à la nature. Cette mesure n’était toutefois assortie d’aucun calendrier.
Début mai, le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES), alertant sur l’effondrement du vivant, a poussé le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, à réaffirmer cette ambition : « J’ai demandé un bilan très précis pour fixer des objectifs en matière de lutte contre l’artificialisation », annonçait-il alors.
Des propositions fin 2019
Depuis, un groupe de travail a été mis en place, fin juillet, par Julien Denormandie, ministre de la ville et du logement, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la transition écologique, et Didier Guillaume, ministre de l’agriculture. Formé de représentants de la société civile, de parlementaires, d’associations d’élus, d’ONG et d’aménageurs, il devra remettre ses propositions en fin d’année pour « construire la trajectoire nationale de la France vers l’objectif de zéro artificialisation nette ».
France Stratégie, l’organisme d’études et de prospective placé auprès du premier ministre, s’est penché sur ce défi dans un rapport publié le 23 juillet. L’état des lieux est lui-même difficile à établir. En fonction des méthodologies utilisées par les différentes études disponibles, le rythme annuel moyen d’artificialisation en métropole est estimé entre 16 000 et 61 000 hectares. C’est le dernier chiffre que retient le Commissariat général au développement durable dans ses publications, mais France Stratégie prend comme valeur moyenne 20 000 hectares.
En tout état de cause, ce rythme est très supérieur à celui de la démographie française : depuis 1981, la surface totale des terres artificialisées a augmenté de 70 %, alors que la population métropolitaine a crû de 19 % seulement. Rapportée à 100 000 habitants, cette surface est aussi plus importante en France que chez ses voisins européens : 47 km2, contre 41 pour l’Allemagne, 30 pour l’Espagne et le Royaume-Uni, 29 pour les Pays-Bas, 26 pour l’Italie.
Le rôle de l’habitat individuel
Comment expliquer cette bétonisation galopante ? Elle est le fait pour environ 42 % de l’habitat, pour 28 % des infrastructures de transports (pour l’essentiel les réseaux routiers), pour 16 % des équipements de services (dont les surfaces commerciales) et de loisirs, enfin, pour 14 % des infrastructures économiques (agricoles, sylvicoles ou industrielles).
France Stratégie y voit la conjugaison de plusieurs facteurs : la « préférence marquée des Français pour l’habitat individuel », l’augmentation du prix du foncier en centre-ville, qui pousse les ménages les moins aisés vers la périphérie, mais aussi le développement des résidences secondaires occupées de façon intermittente, alors même que 8 % du parc de logements est vacant. Quant aux entreprises, elles sont incitées à s’installer en périphérie des pôles urbains par un foncier moins cher et des impôts locaux moins élevés.
Pour mettre un frein au grignotage des terres, les auteurs préconisent plusieurs pistes. D’abord, « améliorer la connaissance des dynamiques d’artificialisation des sols ». Ensuite, « favoriser la densification des nouvelles constructions », par des outils réglementaires ou fiscaux tels que la fixation d’un plancher de densité dans les plans locaux d’urbanisme. Enfin, mettre en œuvre des opérations de « renaturation », consistant à ramener une partie des terres artificialisées à leur état initial.
Reste à savoir ce que retiendra de ces recommandations le groupe de travail mis en place par les trois ministres. Ceux-ci soulignent, comme en réponse au mouvement des « gilets jaunes », que le « modèle de développement » reposant sur l’étalement urbain et l’artificialisation des sols ne nuit pas seulement aux écosystèmes et à la biodiversité, mais « peut aussi impliquer une dégradation du cadre de vie par un éloignement des emplois et des services publics, ainsi qu’un faible accès aux transports en commun et des coûts de déplacements en voiture individuelle importants ».